Compétence eau et assainissement : faut-il créer un budget par mode de gestion ?

Par Adrien ROHMER

 

Les EPCI qui exercent la compétence eau et assainissement suite aux transferts de la loi NOTRe se voient parfois contraints de créer un budget annexe par mode de gestion, avec des conséquences sur l’égalité de traitement des usagers. Un budget pour l’ensemble du service ou un budget par mode de gestion ? Deux communications officielles récentes relancent le débat.

 

La mise en œuvre de la loi NOTRe a entraîné une vague de transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes et d’agglomération, avec une date butoir aux 1er janvier 2020. S’agissant de services publics industriels et commerciaux, financés par les usagers (SPIC), les EPCI concernés ont dû créer des budgets annexes pour ces deux services.

 

De nombreuses collectivités ont été confrontées, dans l’organisation budgétaire de ces compétences, à une lecture stricte des règles de la comptabilité publique et notamment de l’instruction comptable M4 par les trésoreries et les DDFIP. Celles-ci ont parfois imposé aux intercommunalités la création de budgets distincts pour les services gérés en délégation de service public d’une part, et ceux gérés en régie d’autre part. Dans certains cas, il était même demandé aux EPCI de créer un budget annexe par contrat de DSP. Cette interprétation des règles comptables va à l’encontre des principes et des objectifs poursuivis par la gestion intercommunale, à savoir la mutualisation et la solidarité.

 

Une règle comptable qui contraint fortement la liberté d’administration des collectivités

 

Mettre en place des budgets distincts selon les modes de gestion induit des conséquences lourdes sur la liberté des collectivités pour l’organisation de leurs services. Avec ce système, l’harmonisation des tarifs rendue nécessaire, sauf exception, par le principe constitutionnel d’égalité de traitement des usagers devant le service public devient une gageure : sauf coïncidence, deux budgets avec des patrimoines différents (linéaire de canalisation notamment) et des ressources financières variables (en fonction du nombre d’abonnés et des volumes facturés) aboutiront à des niveaux de tarifs différents.

 

Dans ces conditions, deux usagers bénéficiant du même niveau de service mais mis en œuvre selon un mode de gestion différent n’acquittent pas les mêmes tarifs d’eau et d’assainissement. En respectant les règles budgétaires, seul le choix d’un mode de gestion unique permettait d’harmoniser les tarifs et de respecter le principe d’égalité de traitement des usagers.

 

En définitive, la liberté du choix du mode de gestion des services, qui n’est pas qu’une liberté de type de mode de gestion mais aussi une liberté de diversité des modes de gestion, se trouve empêchée par une interprétation de règles comptables.

 

Une absence de consensus en la matière (pour l’instant)

Deux communications officielles intervenues récemment ont traité ce sujet, mais avec des réponses très différentes :

  • Par une question écrite au gouvernement, le député Benoit Potterie a demandé s’il ne serait pas possible d’assouplir les règles de constitution des budgets annexes, en permettant d’avoir un seul budget annexe par compétence, regroupant tous les modes de gestion[1].

 

La réponse ministérielle[2] ne répond pas à la question posée. Seul le sujet des différences de tarifs est traité, et non celui de la présence dans un budget annexe de différents modes de gestion.

 

Sur le nombre de budgets annexes à mettre en œuvre, elle apporte une réponse équivoque :

  • Il est possible de créer un budget unique annexe pour chaque compétence eau et assainissement, y compris lorsque le budget regroupe des services d’eau et d’assainissement pratiquant des tarifs différents (ce cas de figure est nécessairement la norme à la suite d’un transfert de compétence) …
  • … Mais à condition de retracer le détail analytique de chacun des services de façon à pouvoir dissocier leur coût respectif, tant en fonctionnement qu’en investissement, mais également leurs recettes.

 

Cette mise en place d’une comptabilité analytique est une contrainte forte pour les collectivités.

 

La réponse ministérielle précise également que lorsque les coûts des services ne peuvent être distingués, il est nécessaire de prévoir plusieurs budgets. Par conséquent, de manière transitoire, les EPCI peuvent instituer un budget annexe pour chaque ancienne commune compétente, le temps d’organiser le regroupement des fonctions et l’harmonisation des conditions de gestion du service sur le territoire communautaire. La réponse ministérielle sous-tend que la réponse aux différences de tarifs réside dans une nécessaire harmonisation de l’organisation des services et donc des budgets et tarifs.

 

En définitive, aucune réponse claire n’est apportée, laissant les EPCI dans une situation d’incertitude.

  • Un jugement de la Cour administrative d’appel de Nantes du 08 janvier 2021[3] est lui beaucoup plus directif dans ses conclusions sur la question du nombre de budgets annexes : aucune disposition législative ou réglementaire (notamment le CGCT) ou les dispositions comptables de l’instruction M4 ne rendent possible la création de plusieurs budgets pour un service unique. L’unité budgétaire est rattachée au service dans son ensemble et non aux modalités de son organisation (les différents modes de gestion).

 

Dans ce cas, la cour relève que la collectivité « ne peut utilement invoquer ni la disparité de gestion et de situation du service de l’assainissement au sein des différentes communes membres qui sont dotées d’un tel service d’assainissement collectif, ni l’absence d’atteinte au principe d’égalité des usagers de ce service » pour la mise en place de 8 budgets assainissement différents sur 8 communes. La logique retenue par la cour est la suivante : une compétence = un service = un budget.

 

Cette décision de justice s’oppose donc à l’interprétation des services de l’Etat, qui valident la possibilité de conserver plusieurs budgets annexes.

 

Ces décisions récentes révèlent plus l’instabilité de la situation actuelle en la matière (le jugement de la CAA peut être cassé par le Conseil d’Etat) qu’elles n’éclairent les collectivités sur l’organisation budgétaire de leurs services d’eau et d’assainissement. A l’approche de l’analyse de la loi 4D au Parlement, une évolution législative sur la question serait la bienvenue.

 

[1] https://questions.assemblee-nationale.fr
[2] Réponse n°26467 du 05 mai 2020
[3] https://www.legifrance.gouv.fr/

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