[A lire sur la Gazette] Coronavirus : un choc pour les finances locales en outre-mer

En outre-mer, à l’exception notable de Saint-Pierre et Miquelon et Wallis-et-Futuna, le coronavirus se propage à une vitesse folle. Le Club Finances de la Gazette publie la première modélisation de FCL-Gérer la Cité de l’impact de l’épidémie sur les départements et régions ultra-marins (et collectivités uniques). La menace porte sur les baisses de fiscalité en particulier de l’octroi de mer. Les conséquences devraient être différentes selon les territoires.

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Dans les départements et régions d’outre-mer (et collectivités uniques), à savoir la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et la Réunion, les collectivités perçoivent des recettes spécifiques du fait de la faiblesse des autres ressources. Le poids de l’octroi de mer est en particulier majeur dans les budgets de fonctionnement des communes. Or, cette recette va être doublement touchée par la crise économique actuelle : d’une part du fait de la réduction de l’activité économique et donc de son assiette, d’autre part parce que les mesures exceptionnelles de soutien aux entreprises intègrent des possibilités de reports de paiement de certaines parties d’octroi de mer.

 

L’octroi de mer : une taxe qui alimente les budgets de fonctionnement et d’investissement des collectivités d’outre-mer

 

Fonctionnement de l’octroi de mer

A l’origine, l’octroi de mer concernait les activités d’importations et de livraisons de biens exercées outre-mer. Il s’agit de l’une des plus anciennes taxes du système fiscal français. Le rapport de 2004 de la Commission des Finances du Sénat sur le projet de loi relatif à l’octroi de mer date ainsi sa naissance « institutionnelle » en 1819 avec une ordonnance faisant émerger la notion « d’octroi aux portes de mer ». L’octroi de mer touche désormais deux types d’opérations qui constituent deux parts distinctes de son produit : la première part, dite externe, porte sur le produit de certains biens importés ; la seconde part, dite interne, porte sur le produit de certaines productions locales. Son produit est ainsi directement lié à l’activité économique via les importations et la production locale.

Cet impôt a deux composantes : l’octroi de mer à proprement parler (OM), perçu principalement par les communes, et l’octroi de mer régional (OMR), perçu sous forme d’une taxe additionnelle. Pour l’octroi de mer à proprement parler, les principes de répartition sont désormais très largement harmonisés sur les cinq territoires concernés :

  • Une dotation globale garantie alimente la section de fonctionnement des communes. Son montant annuel est égal à celui de l’année précédente indexé en fonction de l’inflation et de la croissance prévues au projet de loi de finances. Cette répartition peut être modifiée par décret sur proposition du conseil régional/départemental/de l’assemblée délibérante de la collectivité unique. Cette part n’a de garantie que le nom : si l’octroi de mer collecté n’est pas suffisant pour l’alimenter, la loi prévoit qu’elle est « réduite à due concurrence ».
  • S’il existe un solde, celui-ci est affecté au fonds régional pour le développement et l’emploi. Ce fonds alimente la section d’investissement des collectivités : la part régionale/territoriale/départementale représente 20% du fonds, et la part communale 80%.

 

Un poids majeur dans les budgets de fonctionnement des communes

En 2018, l’octroi de mer représentait 27% des recettes réelles de fonctionnement des communes (y compris CCAS et caisses des écoles) et 13% des recettes réelles de fonctionnement des régions/collectivités territoriales uniques. En Guyane et à Mayotte, un transfert progressif de la part départementale/territoriale de dotation globale garantie a été organisé au profit des communes jusqu’en 2019 inclus : retraité de ces transferts, le poids dans les recettes de fonctionnement des communes est encore plus important (37% à Mayotte et 32% en Guyane, en faisant les deux territoires les plus sensibles à l’octroi de mer). Il convient toutefois de noter qu’à Mayotte, l’année 2018 est particulière avec l’application d’un mécanisme spécifique d’abattement sur les valeurs locatives foncières (diminution de ressource importante pour les communes) avec une compensation par l’Etat à compter de 2019 : cette baisse ponctuelle des recettes explique en partie le poids très élevé de l’octroi de mer.

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L’impact de la crise économique devrait être très important

 

L’impact de la crise économique actuelle

Plusieurs facteurs viendront réduire le niveau d’octroi de mer pour 2020 :

  • La possibilité donnée aux entreprises, dans le cadre des mesures d’urgence, de reporter des paiements pour les redevables de l’octroi de mer régional en régime intérieur (OMI) : la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) a mis en ligne un formulaire permettant de demander ces reports. Il intègre des données à renseigner sur la baisse du chiffre d’affaires constatée, les autres dettes à honorer, la situation de trésorerie et les autres éléments de nature à justifier des facilités de paiement. L’octroi de ces facilités n’est pas automatique.
  • La diminution des importations
  • La baisse de la production locale

 

Ces baisses devraient conduire à une diminution de l’ensemble des composantes de l’octroi de mer :

  • De manière immédiate pour l’octroi de mer régional qui est perçu en « fil de l’eau » ;
  • De manière immédiate pour la dotation globale garantie des communes (part fonctionnement pour les communes) ;
  • Enfin, concernant la part investissement (fonds régional pour le développement et l’emploi – FRDE) correspondant au solde entre l’octroi collecté et la part garantie des communes, le montant 2021 devrait être fortement réduit voire nul.

 

Des niveaux d’épargne fragiles qui seront fortement touchés

Le taux d’épargne brute correspond à la part des recettes réelles de fonctionnement qui n’est pas consommée par les dépenses réelles de fonctionnement, et qui peut donc être affectée au remboursement de la dette et/ou l’autofinancement des investissements. Le niveau moyen des communes d’outre-mer est particulièrement faible avec une moyenne à 6%, traduisant des difficultés structurelles en section de fonctionnement.

Il est trop tôt pour chiffrer précisément l’impact de la crise actuelle sur l’octroi de mer perçu. Avec une hypothèse de travail de baisse de 20% de l’octroi de mer perçu en fonctionnement, seules les communes de Mayotte et de la Réunion conserveraient une épargne brute positive. En retraitant des transferts d’octroi de mer aux communes à Mayotte et en Guyane en 2019, le taux d’épargne ressortirait à 8,6% pour les communes mahoraises et 0,4% pour les communes guyanaises. Sur les autres territoires, pour un nombre important de communes, les recettes réelles de fonctionnement seraient inférieures aux dépenses réelles de fonctionnement. La situation serait critique pour des collectivités qui sont pour beaucoup déjà en grande difficulté financière.

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Pour les régions et collectivités territoriales uniques, l’impact serait moins important, mais il se cumulera avec d’autres pertes de ressources (baisse attendue de la CVAE, etc.).

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Une capacité limitée des communes à réagir à très court terme

L’ajustement à cette perte de recette sera nécessairement très compliqué dans la mesure où une partie importante des dépenses sont des charges rigides à court terme, avec notamment des charges de personnel qui représentent environ deux tiers des dépenses de fonctionnement. L’octroi de mer perçu en fonctionnement par les communes représente en moyenne cinq mois de charges de personnel, traduisant l’importance de cette ressource pour faire face aux charges courantes. Une perte de 20% de l’octroi de mer en fonctionnement représenterait ainsi l’équivalent de près de 9% ou 1 mois de charges de personnel des communes.

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En conclusion

L’octroi de mer devrait diminuer significativement au moins pour l’exercice 2020 en fonctionnement, et 2021 en investissement. Cette baisse se cumulera à celle d’autres ressources (taxe de séjour, taxe sur les carburants, etc.).

L’impact sera différent selon les territoires et le type de collectivités.

Pour les régions et collectivités territoriales uniques, il viendra s’ajouter aux autres pertes de ressources, importantes, notamment en matière de CVAE.

Pour les communes, il devrait être majeur au vu du poids de cette recette en section de fonctionnement. Pour nombre de communes déjà en grande difficulté budgétaire, le risque est évidemment l’apparition ou le creusement de déficits, dont la résorption pèserait lourdement sur les exercices à venir. Pour les communes moins en difficulté (par exemple sur le territoire de Mayotte), le risque est celui d’un coup de frein sur l’effort budgétaire prévu en matière d’investissement, alors que les besoins sont majeurs.