Norme 18 : quand une norme comptable réinterroge les équilibres financiers des concessions

Personne effectuant des calculs budgétaires sur une calculatrice et des documents comptables. Norme 18 - M57
Partager cette actualité

Le Conseil de normalisation des comptes publics a adopté, le 18 octobre 2022, un avis sur la norme 18 concernant « les contrats concourants à la réalisation d’un service public ».

Cette nouvelle norme complète le Recueil des normes comptables pour les entités publiques locales, sur le traitement comptable des biens utilisés pour permettre à une entité publique locale de rendre des services publics aux usagers.

Elle traite principalement des sujets suivants :

  • La comptabilisation des biens acquis ou réalisés par le concessionnaire, et notamment sa contrepartie dans les comptes de l’autorité concédante ;
  • La comptabilisation, dans les comptes de la collectivité, des différents flux intervenant dans le cadre du contrat entre le concessionnaire et le concédant.

 

Sur ce 2ème sujet, une disposition spécifique concerne l’imputation comptable de l’indemnité versée en fin de contrat, en contrepartie de la remise des biens de retour ou de reprise : « Dans tous les cas, si le contrat prévoit le versement d’une indemnité de retour ou de reprise à verser par l’entité publique locale, celle-ci est comptabilisée en charges au cours de l’exercice au titre duquel le versement est dû, dès lors que le bien de retour ou de reprise figure déjà au bilan de l’entité publique locale. »

Autrement dit, l’indemnité de remise des biens concernés, souvent calculée sur la valeur nette comptable des biens (VNC), doit être imputée en section de fonctionnement, au sein du budget des collectivités, et non en section d’investissement (si la dépense avait été qualifiée d’immobilisation).

Cette classification est reprise dans le nouveau « Guide des imputations budgétaires et comptables », publié en septembre par la DGFIP, qui indique, en annexe 9, que l’indemnité de sortie (compensation de la valeur non amortie des biens de retour) est à comptabiliser en charge l’année où les biens de retour ou de reprise reviennent dans la comptabilité de la collectivité concédante, au compte 65888 « Autres charges diverses de gestion courante – Autres ».[1]

 

 

Cette nouvelle règle d’imputation comptable des indemnités de fin de contrat, liées à la remise des biens, modifie la pratique existante, qui était que l’indemnité versée au concessionnaire était imputée en section d’investissement. Cette imputation étant justifiée par le fait que l’indemnité est la contrepartie du transfert des immobilisations du concessionnaire vers la collectivité. En tant que dépense d’investissement, la collectivité a la possibilité de recourir à l’emprunt pour financer l’indemnité, et donc de lisser la charge dans le temps, ce qui est logique car la collectivité doit poursuivre l’amortissement des biens qui lui ont été remis.

L’obligation d’imputer l’indemnité de remise des biens en section de fonctionnement présente :

  1. des conséquences financières et budgétaires de court terme
  2. des conséquences de stratégie contractuelle de moyen – long terme

 

L’impact immédiat est financier et budgétaire pour la collectivité :

  • Financier car la collectivité doit utiliser sa trésorerie pour payer l’indemnité alors que les indemnités de remise des biens représentent des montants souvent très élevés
  • Budgétaire car cette dépense exceptionnelle d’exploitation va peser sur l’équilibre du budget de l’exercice concerné

 

La DGFIP et la DGCL ont indiqué, dans leur présentation conjointe de l’impact de l’intégration de la norme 18 dans le référentiel comptable M57, que les possibilités d’étalement comptable de cette dépense allaient être assouplies – suppression de la procédure d’étalement sur autorisation interministérielle actuellement obligatoire pour ce type de charge.

 

Malgré cette évolution de la règle budgétaire à venir, la difficulté de financement de l’indemnité reste entière. La solution serait, pour la collectivité, de provisionner en amont les sommes nécessaires au versement de cette indemnité, mais dans ce cas, cela remettrait en cause pour la collectivité tout l’intérêt du montage des contrats de concession prévoyant le versement d’une VNC en contrepartie de la remise des biens en fin de contrat.

 

 

À moyen-long terme, l’intérêt des contrats de concession avec indemnité VNC pourrait être remis en cause. En effet, ces contrats présentent le double intérêt contractuel et financier suivant :

  1. Contractuel en limitant la durée des contrats de concession et en permettant une remise en concurrence plus fréquente ;
  2. Financier car la réduction de la durée du contrat ne se réalise pas grâce à une augmentation des coûts liée à un amortissement accéléré des biens, ceux-ci restant amortis sur leur durée de vie technique.

 

Pour le concessionnaire, qui a financé l’intégralité des coûts d’investissement, l’équilibre financier est réalisé par le paiement, par le maître d’ouvrage, d’une indemnité de reprise des biens égale à leur VNC, qui vient compléter la part dont il a assumé le financement en fonds propres ou de la dette pendant la durée du contrat.

 

Pour la collectivité, le paiement de cette indemnité VNC était traité comme une dépense d’investissement (en lien avec le transfert des immobilisations pour leur valeur non amortie), avec deux possibilités :

  • Soit de transférer cette VNC comme droit d’entrée dans une nouvelle concession, avec l’obligation pour le concessionnaire de poursuivre l’amortissement (dans ce cas, il s’agit d’une opération blanche pour la collectivité) ;
  • Soit de financer cette indemnité sur son budget, en cas de choix d’une gestion en régie ou dans le cadre d’un marché. Dans cette hypothèse, l’imputation en dépense d’investissement de cette VNC permettait à la collectivité de recourir à l’emprunt pour la financer et d’en lisser la charge dans le temps – ce qui est logique sur le fond, car l’indemnité correspond à la contrepartie de la remise de biens dont la durée de vie technique n’est pas atteinte et qui doivent continuer à être amortis.

 

 

Avec la nouvelle règle d’imputation comptable de l’indemnité de remise des biens, l’intérêt des montages des concessions avec VNC est profondément modifié :

  • Il reste pertinent si la collectivité souhaite maintenir la gestion du service ou de l’équipement en concession, via le transfert de l’indemnité de remise des biens en droit d’entrée de la nouvelle concession (mais dans ce cas, la collectivité devra déterminer son intérêt à passer deux concessions courtes à la place d’une concession longue) ;
  • En cas de reprise en régie du service ou de l’équipement, il revient à amortir financièrement les biens sur la durée du contrat, ce qui enlève tout intérêt au montage.

 

 

En conclusion, cette nouvelle règle, si elle était maintenue en l’état, implique :

  • pour les collectivités concernées par les contrats avec VNC, une identification des enjeux (anticipation du calcul de l’indemnité) et des solutions possibles de traitement budgétaire et comptable),
  • pour les collectivités projetant de lancer des concessions, de travailler le sujet de la durée, pour voir les conditions dans lesquelles la solution de remise des biens à titre gratuit (via la pratique des amortissements de caducité) est possible (via des simulations de business-plan).

 

 

[1] À ce stade, la DGFIP et la DGCL n’ont pas indiqué les conséquences sur la nomenclature M4 mais aucune disposition de la norme ne permet de présager que la règle qui leur serait applicable pourrait être différente.

Nous contacter